L’emprise des hommes sur les femmes, cet amour masculin qui se transforme en tyrannie, sont des constantes dans l’univers romanesque d’Ananda Devi. Dès les premiers textes nommément Rue la Poudrière (1988), émerge l’image du père alcoolique et violent qui conduit sa fille à la prostitution. Trente ans plus tard, la vision de la romancière ne s’est en rien adoucie. Plus complexe, moins centré sur Maurice, le portrait de la paternité que dresse cette écrivaine dans Manger l’autre (2018) jette une ambigüité grandissante autour du rôle du père dans la descente aux enfers de sa fille. Loin des bourreaux décrits dans La vie de Joséphin le fou (2003) ou dans Le sari vert (2009), le père apparaît ici sous les traits de l’empathie et de l’amour. Cela dit, la vision du monde d’Ananda Devi par rapport à ce dernier ne change pas. À travers cette éternelle stigmatisation du patriarcat, la romancière nous transporte dans le monde de l’obésité morbide, du harcèlement scolaire et des réservoirs de haine que recèlent les réseaux sociaux.
Dans Manger l’autre, un texte aux accents universels, le monstre n’est plus masculin mais bien féminin. En l’absence de la mère accablée par ses obsessions égocentriques, les chances de réussites du père sont minimes. Or, Manger l’autre se lit comme un sacerdoce paternel. Le père assume son rôle, aime pour deux et surtout passe des heures à cuisiner ce que sa fille désire. Il va même jusqu’à encourager l’épanouissement sexuel de cette dernière en lui accordant une liberté de tous les instants. Et pourtant, rien de cela n’est suffisant pour absoudre l’homme dans l’univers d’Ananda Devi. Dans ce contexte, l’objectif de cette étude est de démontrer et d’analyser l’assiduité de cette romancière mauricienne à mettre en scène l’échec du père quoi qu’il puisse entreprendre au sein de sa famille.